vendredi 26 novembre 2010

Agricultivé, restauration.

Sourcil haussé comme un petit doigt en l'air undercover, deux autres phalanges engoncées dans un anus si peu profond que ces deux pauvres phalanges, déjà, atteignent le diaphragme et empêchent leur possesseur peu fourni de respirer, ainsi la phrase tombe, voulue définitive comme entendue à la radio le matin mais sans la reverb:

"Mais enfin, tu n'y connais rien! Si ça ne pue pas, ce n'est pas du fromaaaaage!"

C'est là un spécimen de mongol: il n'y a pas d'arbres en Mongolie, même pas un bananier, alors le seul lien qui reste avec la "nature" c'est une bande de fromages et de produits finis semi-finis qui se connaissent tous entre eux comme une amicale d'anciens élèves coincés dans les mêmes impasses professionnelles. Bouffe-le, ton fromage emballé dans du cuir de rat mort, comme ça tu arriveras à ne pas voir que la "nature" c'est moi et ce n'est plus toi. La nature humaine. Bof. Nous sommes trois en cuisine pendant que le chef pavane ses taches de graillon en salle plutôt que de travailler aux fourneaux. A nous trois nous parlons une quinzaine de langues. A nous trois nous cumulons quelques dizaines milliers de kilomètres. Le blanc, lui, comme dans "travail de blanc" pour parler d'un boulot mal fait avec le petit personnel qui rattrape derrière, le blanc disais-je, nous voit en tant que petit personnel habillé en uniforme de couleur de peau, et nous parle de fromages et de rhâlouf, ça doit être ça les bienfaits de la civilisation.

Le chef me charge de goûter l'assaisonnement des harengs: il dit qu'il vomit quand il en mange, tiens, comme Seydou. Petite nature.

Le chef râle parce que j'ai trop de pain sur mon étagère. Je n'ai pas eu le temps de ranger mon plan de travail parce que j'ai nettoyé le sien. Après trois mois de boulot, dont un à la plonge, j'assume, malgré mon contrat de plongeur et en collaboration avec Seydou, qu'ils voulaient virer avant que j'arrive et que je réconcilie tout le monde grâce à mon prana-bindu, des fonctions de quasi-chef de partie. Fonctions payées 39 heures de smic pour 55 heures travaillées. Le fait est que s'il veut manger des trucs qui puent j'aurais quelques trucs à lui proposer, comme la merde de mon cul, avec les compliments du front populaire.

Parfois, je demande au chef de goûter ce dont je suis en charge: sauces des entrées, desserts. La plupart du temps, je change peu à peu ses recettes et ses proportions sans lui en faire mention. Ce qui se vend le plus au restaurant c'est la mousse au chocolat. Je ne l'ai pas inventée, la mousse au chocolat, mais c'est moi qui la fait: j'en fait 20 kilos par semaine. Le chef ne l'a pas goûtée depuis 3 mois. Pourtant, elle a changé, peu à peu, à coups de grammes empiriques de sucre ou de jaunes, et selon mon humeur du jour. Et c'est la serveuse qui me sert de goûteuse.

Je suis né en ville, moi, je ne sais pas planter les choux et je n'ai jamais vu de cacaoyers. Pourtant il y a des cacaoyers à Madagascar. Mais un jour je tiendrai un très bon restaurant, là-bas, un restaurant meilleur que ces terrasses parisiennes qui proposent à 15-16 euros des menus du jour recyclés des restes de la carte invendue de la veille (rillettes de saumon avec des garnitures aux intitulés flexibles, etc). J'aurai une vraie carte grâce au coût très compétitif de la main-d'oeuvre ébahie par mon cursus (Paris, New York, Mombasa, Bangkok, Rio). Dans le désordre:

Bananes "ranjalia" en beignets de ruelle, chocolat de [insérer ici le nom d'une plantation locale].
Pakoras de légume d'Antsirabé, épices de Neny karana de Tsaralalàna, sauce menthe-coriandre, sauce tamarin.
Entrecôte de zébu, pommes de terre décalibrées, béarnaise qui n'a jamais vu le Béarn sauf sur MSN ("je vous trrrouve trrrrès beau"), et sourire de la serveuse.
Crevettes roses voanio râpé (fuck le lait de coco en boîte, c'est dégueulasse), crémeux créole, légumes flambés au Dzama Vieux.
Cocktail ManaKir Royal, servi avec le pantalon moulant du serveur (encore à inventer).
Foie gras de canard, frapaina (soanambo) caramélisé aux paiso ra-kena, miel de thym.
Brochettes de parking baby!, pako-pako et rougail doux, mahôgo, shot de Brighton et souvenirs.
Lamàtra grillé à l'échalotte et aux herbes timides, cageot de bières et playlist Kawitry du chef (à partir de 4 personnes).
Hen'omby ritra Newton, anan-tsonga Jocelyne, pirina à la Charles, trondro maina à la "Sombinaina"
Cocotte (Seb, baby!) de Riz cantonnais Skee Bee Dee Boo, Tsa-siou de la barrique, prix 3 étoiles.
Kulfi au lait d'abricots, vanille, cardamone et pistaches.
La salade de concombres la plus simple du monde, sel, poivre, vinaigre, pour quand il fait chaud.

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